Une enquête de l'inspecteur Crasson : 12e

Ca y est, j'ai fini par le mettre en ligne ce putain de texte.

Il est très tard (ou très tôt) donc je vous souhaite une bonne nuit et une bonne lecture

Il ne manquait plus que ce drôle de petit homme qui sous ses airs de sportif à l'hygiène de vie irréprochable, se cachait un homme doté d'une grande culture et ayant un souci des convenances qui frôlait parfois le cas pathologique. Il était rare dans une région qui avait depuis longtemps chassé ses nobles de trouver un être qui sous des oripeaux dont on n'aurait même pas vêtu un mendiant, se terrait un dernier disciple du bon goût et de la classe aristocratique. Crasson n'avait pas spécialement de grief envers Jérôme, son ascendance, bien que n'ayant pas de particule, était assez ancré dans l'histoire du Jura pour lui faire oublier ce manque à l'étiquette, mais il avait toujours ressenti un malaise chaque fois qu'il était avec lui. Il se souvenait d'un jeune garçon qui avait tout de la boule de nerf lorsqu'il l'avait rencontré à l'Académie de Bisenz. Il avait bien changé et chacune de leurs rencontres était toujours d'une cordialité forcé, empreintes d'une atmosphère malsaine. Il y avait bien sûr une explication à la règle. Un jour au salon du livre à Genève, les deux hommes s'étaient pris le bec à propos de divergences sur un roman présenté cet après-midi-là. Crasson ne se souvenait étrangement plus du titre. Mais d'abord d'un aimable échange de points de vue, il s'était rapidement transformé en un duel d'injures puis en un pugilat en bonne et due forme. Crasson avait, à son grand étonnement, perdu face à ce gringalet et il avait gardé au fond de lui une certaine rancune qu'il ne montrait jamais quand il se trouvait en sa présence, mais ce sentiment lui nouait à chaque fois l'estomac.

Bref, Jérôme était quelqu'un d'intéressant mais Crasson ne l'appréciait pas beaucoup. Il faut dire qu'il n'aimait pas beaucoup de monde et que ses accointances avec la Ligue, antagoniste naturel de la Congrégation, n'aurait de toute façon pas permis une franche amitié s'il avait eu la chance d'exister.

« Figure-toi mon cher Crasson, dit-il avec le ton qu'un conteur aurait pris pour subjuguer son public. Que me baladant dans la patinoire, je prêtai l'oreille aux chuchotements de la roture et les quelques bribes que je captai pas hasard m'étonna autant qu'il me réjouit : Tu étais réintégré dans notre police et en plus on t'avait confié l'enquête sur le meurtre de cette pauvre fille.

- Tu entends bien, Jérôme, et on ne t'a pas menti.

- Mais je remarque et cela me peine. » Il désigna d'un geste sec du menton sa bière et sa cigarette. « Que tu es déjà retombé dans tes travers. Mon ami, tu n'as pas besoin de ça pour faire marcher tes petites cellules grises. Je me souviens que c'était la raison de ta suspension. L'alcoolisme.

- C'était en effet la raison principale qui occasionna ma mise à pied.

- Bien sûr, bien sûr, répéta-t-il d'une voix de conférencier. Mais nous, gens de conditions, savons très bien que ce n'était pas là ton erreur. Quel idiotie, pardonne-moi, d'avoir osé commettre de telles déprédations...

- Je te trouve bien poli, qualifié ce dont mes supérieurs et mes ennemis m'ont accusé comme de simples déprédations...

- Tu aurais dû venir me voir quand tu as eu tous ces problèmes.

- Je ne sais pas ce qu'un simple magasinier aurait pu faire pour moi. »

Crasson ne vit pas la flamme de rage fugace qui embrasa les yeux du jeune homme. C'était un coup bas, il savait que n'importe quel Congre ou Ligueur se voyait octroyer une profession de façade, sensée cacher au pouvoir en place les véritables activités des intéressés. Néanmoins, lui balancer ça en pleine figure devant un public ignorant de leur véritable condition. Il sourit de plus belle et lui lança, persifleur :

« Je ne sais pas non plus comment un buveur ventripotent accro aux jeux vidéos va résoudre ce mystère du passage souterrain et pourtant j'ai bon espoir... »