Extrait de La sombre cité de Loôn

Publié le par Jérémie "El Grêlo" Miserez

Extrait de La sombre cité de Loôn

Lutz, antiquaire la journée et agent du Conseil des Sept la nuit, se remet d'une mission et d'une peine de coeur dans un établissement des plus étranges...

Lutz Teuffel vida son énième chope puis se laissa glisser le long du banc qu’il occupait dans une alcôve de la Tanière de l’Ours. Célèbre taverne du quartier de Piper réputée pour sa bonne bière, ses groupes de musiques dans le vent et le fait qu’elle ne fermait jamais. Nichée dans le tréfonds de Loôn, on y accédait par une petite porte dans une petite ruelle puis on empruntait les trente marches d’un escalier en colimaçon qui descendait jusque dans les catacombes.

     La Tanière s’était spécialisée dans une clientèle particulière : celle dont l’âme était empruntée de tristesse. On trouvait généralement des amoureux éconduits, des vétérans dépressifs, des étudiants renvoyés de l’université ou encore des entrepreneurs déclarés en faillite. Bref, il ne faisait pas bon être heureux dans ces sous-sols et tout avait été mis en place pour que le client garde son moral au plus bas. Cependant, le patron avait mis à dispositions de nombreuses distractions visant à faire oublier leur malheur à ses consommateurs : un jeu de lance-dagues occupait un petit coin de mur et au bout d’un couloir, un homme derrière une table de guingois prenait les paris pour tous les combats dans l’arène de la ville. Le bar faisait dix mètres de long et ses étagères étaient surchargées de toutes les bouteilles d’alcool possibles et imaginables. Des femmes plus belles que la déesse Sélène servaient les clients écroulés au bar. Des prostituées aux tarifs beaucoup trop cher pour le vulgaire péquin arpentaient la Tanière dans l’Ours et provoquaient soupirs et regards désespérés à chacun de leurs passages. Sur une petite estrade, un musicien natif d’Hychtion grattait paresseusement les cordes de sa guitare et en extrayait une mélopée qui aurait fait pleurer une statue de marbre.

     Au centre de ce temple dédié à la tristesse et au désespoir, se trouvait une table de Poker Divin. De forme octogonale, elle avait été fabriquée avec un arbre qu’on ne trouvait que dans les forêts les plus septentrionales du continent. De couleur noire et strié de veines rouge sombre qui pulsaient d’une lueur malsaine à intervalles irréguliers, la table donnait l’impression d’être vivante. Les bords du plateau étaient recouverts de runes et en son centre était gravé le symbole de la déesse de la chance Bahati.

     Ce n’était jamais une bonne idée de s’asseoir à cette table.

     Il n’y avait pas besoin d’avoir une bourse pleine pour y faire une partie. Bahati était une déesse qui dédaignait l’argent. Il suffisait pour participer d’avoir une âme et surtout d’en avoir encore assez pour que le croupier spectral qui apparaissait à un des huit coins vous en prélève une partie. Une fois cela fait, le joueur recevait un stack sous forme de petites billes phosphorescentes qu’il pouvait miser selon son bon vouloir. Le poker se jouait normalement avec deux cartes pour chacun et cinq cartes qui étaient découvertes au fur et à mesure au milieu de la table.

     Là où cela se corsait, c’était lorsqu’il y avait répartition des gains. Celui qui gagnait récupérait son âme en entier et connaissait, en fonction de la taille de son bénéfice, un regain de chance qui pouvait durer un certain temps. En revanche, celui qui perdait tout se voyait déposséder d’une partie de son âme et de son être. Il dépérissait rapidement et voyait sa mémoire et son intelligence se liquéfier jour après jour. Le seul moyen pour conjurer le sort était de retourner à la table de Poker Divin et d’espérer récupérer l’entièreté de son âme.

     Mais Bahati était une déesse capricieuse, prodigue avec les chanceux et pingre avec ceux en déveine. La plupart du temps, le malheureux qui s’asseyait repartait avec un morceau d’âme en moins.

     Le clergé Sélénicien avait tenté à de nombreuses reprises d’interdire cette pratique considérée comme impie et de détruire toutes les tables de ce jeu. Mais les adeptes de Bahati ne tardaient pas à trouver un nouveau temple et pour finir, l’Etat et l’Eglise avait finalement décidé d’imposer une taxe supplémentaire à tout établissement qui possédait cet artefact.

    

     Depuis son alcôve, Lutz Teuffel étudiait les quatre joueurs qui s’affrontaient dans un combat de désespérés. Le spectre qui donnait les cartes ressemblait à un moine encapuchonné dans une bure noire. Seules ses mains semblaient tangibles. Lutz crut reconnaître un sénateur parmi les quatre mais il fut distrait par le rire tonitruant de son compagnon de beuverie, éclat de voix très mal vu à la Tanière de l’Ours...

 

Rendez-vous lundi 18 juin à 18h pour le 1er chapitre et n'oubliez pas de liker la page Facebook et de partager un maximum !

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