Le Bourreau du Prince-Evêque - Partie 2

Publié le par Jérémie "El Grêlo" Miserez

Le Bourreau du Prince-Evêque - Partie 2

La décharge du Louvres juste au-dessus de Villars avait été fermée depuis plus d’une décennie. Située au début de la forêt de Montvoie, le dépotoir était ceinturé de chaque côté par de hauts arbres à la grande ramure qui semblait être devenus les silencieux et imposants gardiens de ce temple du gaspillage. Deux hommes, dont l’un portait élégamment un pull floqué du numéro 59 dans le dos et le tigre à dent de sabre des Nashville Predators devant et l’autre un hoodie gris et une écharpe du HCA, procédaient à ce qu’on pouvait appeler une fouille méthodique à la Jurassienne : C’est-à-dire chercher pendant cinq minutes puis hurler et insulter le Seigneur et toute sa création pour son manque de coopération.

Le Cousin souleva une antique portière de voiture et la jeta au loin, manquant de décapiter le Gros qui grommelait dans sa barbe, comme à son habitude lorsqu’il était contrarié. Ils avaient enfilé de gros gants de chantier pour pouvoir déplacer des objets rouillés et tranchants. Ils commençaient à penser qu’ils allaient faire chou blanc lorsque le Cousin lui posa une question pertinente :

« Qu’est-ce qu’on cherche en fait ?

— Je te l’ai dit, une collection de livres qui a appartenu à un certain Marc Verdin, expliqua pour la énième fois le Gros. Tu te souviens de lui ?

— Mmh, c’était pas le vieux fou qui habitait au Banné ?

— Absolument.

— Il avait épousé un canon, si je me souviens bien, on aurait dit un mannequin, ajouta-t-il en piochant dans ses souvenirs d’enfance. Tout le monde disait qu’il l’avait acheté sur catalogue.

— J’en doute fortement, c’était pas une femme.

— Ah, tu veux dire que…

— Je veux dire que c’était un succube, un démon-femelle qui satisfait le moindre de tes désirs sexuels et en échange, elle aspire littéralement ton énergie vitale après chaque… rapport. »

Le Gros n’eut pas besoin de se retourner pour deviner que le Cousin affichait un sourire goguenard qui se déployait jusqu’aux oreilles.

« C’est pas ce que tu penses, gros pervers, soupira-t-il. Quand bien même ça peut participer au rituel, parfois.

— S’il l’a invoqué à vingt ans, le vieux Verdin a dû bien s’amuser durant toutes ses années.

— Tu lui donnais quel âge ? Le questionna le Gros.

— Au moins quatre-vingts, répondit le Cousin.

— Il en avait vingt-trois, le corrigea-t-il. Mais tu avais raison sur une chose, il a invoqué et passé un pacte avec le succube quand il avait vingt ans. Il s’est bien amusé pendant trois ans. Mais il est mort complètement desséché et toute le monde en a déduit que sa compagne, sans doute en défaut de papiers d’identité, avait pris la poudre d’escampette en découvrant son amant gisant sur le carrelage de la cuisine. »

Ils reprirent leur fouille, le Cousin, étrangement, semblait y mettre beaucoup plus d’entrain désormais. Au bout d’une demi-heure de recherches infructueuses, il posa à nouveau une question pertinente :

« Et pourquoi on cherche les livres de ce Verdin ?

— Parce qu’ils contiennent presque toute la sagesse interdite en matière d’invocation, de révocation, de sortilèges, de charmes et de potions de l’Ancien Evêché. On raconte que le Prince invita tous les rebouteux, sorciers, mages et détenteurs de s’cret des deux sexes au château de Porrentruy et qu’il leur demanda de coucher par écrit toutes leurs connaissances. A la fin de ce colloque très fructifiant, il les conduisit dans une grange où un banquet devait être donné en l’honneur des maitres des arts secrets. Une fois bien installés, le Prince-Évêque fit condamner toutes les entrées et ordonna qu’on brûle le bâtiment en bois. Aucun n’en réchappa. On savait s’amuser à l’époque.

— D’accord, si j’ai bien compris, résuma le Cousin. Tu cherches ces livres car dedans, il y a une recette ou un sort, ou même un rituel qui pourrait nous être utile dans l’affaire qu’on nous a confié.

— Exactement. »

Une heure passa sans qu’ils ne trouvent rien d’intéressant mis à part une vieille radio, un châssis de BSA et une famille de rats qui avait élu domicile sous une vieille bâche à moitié pourrie et dont les membres semblèrent faire un bras d’honneur au Gros qui venait de les déloger malencontreusement.

« Je peux te poser une dernière question ?

— Bien sûr.

— Pourquoi on cherche précisément ici ?

— Parce que lorsque le jeune Verdin est décédé, on ne lui a pas trouvé d’héritier. Et fort heureusement pour nous deux, j’ai découvert dans les vieux dossiers que ses effets personnels avaient été jeté dans la décharge publique de la commune de Fontenais quelques jours avant qu’elle ne soit définitivement fermée. Donc, j’imagine que c’est le meilleur endroit pour entamer des recherches.

— J’ai trouvé.

— Comment ?

— J’ai trouvé, je suis passé devant au moins trois fois, ils avaient été emballés dans de la toile cirée. »

Le Gros vit avec effroi le Cousin brandir un antique volume et il poussa un soupir de soulagement quand l’artefact ne se décida par à tomber en poussière. Il se précipita vers son Cousin et s’empara du volume, feuilletant fébrilement les pages brunies par plusieurs siècles d’existence. Ecrits à la plume avec une encre noire dans un latin que le Gros peinait à déchiffrer. Il jeta un regard dans le sac de toile cirée et ne put s’empêcher de sourire en découvrant quatre autres bouquins semblables à celui qu’il tenait entre ses mains.

« De la bonne lecture en perspective pour ces prochains jours, s’écria-t-il d’une voix fiévreuse. On peut rentrer. »

Il referma d’un coup sec l’ouvrage qui expulsa quatre siècles de poussière dans les airs.

 

*

 

Le Cousin étant tranquillement occupé à la Taverne à profiter de ses deux occupations favorites : siroter une Desperado et prêter une oreille attentive aux ragots que s’échangeaient les clients du lieu.

« Et tu l’as pas revu depuis ce jour-là ? Lui demanda la patronne derrière le bar.

— Non, on m’a dit qu’il a pas bougé de son bureau depuis qu’il est rentré avec ces bouquins.

— Et tu ne te fais pas de souci ?

— Si. Mais tu le connais, s’il lui arrive un malheur, il ne va pas manquer de nous l’annoncer. »

La porte du bar s’ouvrit à la volée et un Gros en ébullition surgit dans le bar. Un des volumes de Verdin sous un bras, son vieux sac en bandoulière orné du logo fatigué de Superman contenant deux autres livres.

« T’as trouvé ? Lui demanda rhétoriquement le Cousin.

— Sort de bannissement des esprits vengeurs, recette pour une poudre répulsive contre les spectres et schéma pour confectionner une amulette de protection contre les fantômes. »

Il jeta d’un geste triomphal le livre antique sur le zinc. Le Cousin se pencha pour mieux étudier les lettres gravées dans la couverture en cuir. Il abandonna. C’était incompréhensible.

« Bon, qu’est-ce qu’on attend ? S’écria le Cousin. J’appelle le gamin ?

— Oui et donne-lui rendez-vous à 3h cette nuit devant l’Hôtel-Dieu.

— Pourquoi pas tout de suite ?

— Parce qu’on doit aller faire des courses : finis ta bière ! »

 

*

 

« La caissière de la Coop nous a jeté un drôle de regard quand on a déposé sur son tapis vingt paquets de sel de table, maugréa le Cousin tandis qu’ils quittaient le magasin d’alimentation.

— Est-ce ma faute si le sel est le meilleur répulsif contre les spectres, répliqua sèchement le Gros. C’est expliqué dans les volumes et c’est même utilisé par les frères Winchester dans Supernatural.

— Ok, et maintenant, on combat le spectre du bourreau en lui lançant des pincées de sel à la gueule, en espérant qu’il attrape des engelures ?

— Non, on va voir le Zic-Zic, expliqua le Gros.

— Pourquoi ? S’écria le Cousin qui faillit en lâcher son sac plein de paquets de sel.

— Parce que c’est le seul que je connais qui sache où trouver l’Antiquaire.

— Et c’est qui l’Antiquaire ?

— Un type qui vend des antiquités, pardi. »

 

*

 

Ça leur avait pris trois heures de plus que prévu, des détours dans des localités que les deux Cousins préféraient oublier jusqu’à leur nom mais ils avaient enfin réussi à trouver la dernière adresse de l’Antiquaire, qui se considérait comme un revendeur de tout ce qu’une personne saine d’esprit refuserait d’acheter. Il travaillait à son étrange commerce depuis l’arrière-boutique d’un magasin de disques en plein milieu de la vieille ville de Neuchâtel. Le Cousin et le Gros avaient laissé Zic-Zic dans son Hyundai grise et ils étaient en train d’étudier les deux articles que le Gros avait demandé.

« C’est une vraie fiole remplie de Sang de Pendu, tu me le jures ?

— Juré, craché, mon ami. Et dans le petit sac, il y a la poudre d’os de la phalange de l’index d’un délateur.

— Je n’ai aucun moyen de tester la véracité de tes dires, Combien ? »

Il annonça un nombre, ce qui provoqua moultes vociférations chez ses deux clients. Dix minutes plus tard, ils sortaient du disquaire avec un petit sac contenant les deux artefacts morbides et un trente-trois tours du premier album de Led Zeppelin en prime. Ils montèrent dans la voiture de leur chauffeur sans dire un mot.

« On est tout bon j’espère ? Grogna le Cousin.

— Presque, il nous manque encore un ingrédient.

— Et où va aller le chercher, hein ! A Weinfelden ?

— Bien sûr que non… » répondit le Gros.

 

*

 

Le Cousin mit toutes ses forces et prit appui sur le pied-de-biche. La porte de la chapelle de Lorette finit par céder dans un craquement qui retentit dans tout le quartier du même nom. Sous la lueur blafarde du dernier lampadaire, les deux compères se faufilèrent dans le lieu de culte.

« J’arrive pas à croire qu’on cambriole une église.

— C’est spécifié qu’il faut de l’eau bénite provenant d’un lieu consacré à la Vierge Marie, expliqua le Gros. Et il précise que ça a plus d’effet si c’est proche de l’endroit hanté. »

Le Gros sortit une lampe-torche de sa besace qu’il alluma. Il sortit également une louche et une bouteille d’Evian vide qu’il tendit à son Cousin. Ils s’approchèrent du bénitier et tandis que le Gros plongeait l’ustensile de cuisine dans l’eau bénite, les deux amis ne purent s’empêcher de ressentir un certain malaise en commettant cet acte impie. Ils remplirent la bouteille à ras-bord et décampèrent des lieux du crimes en prenant soin de se faire les plus discrets possibles.

 

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